Le Quotidien du Médecin en date du 1er juillet[1] affiche un dossier à sa une, intitulé : « Entre neurologie et psychiatrie ces TNF qui dérangent ».
Il semble qu’il y ait encore des psychiatres qui ignorent ce qu’est un TNF : honte à eux. Ce qui est plus grave encore c’est que, selon le journal : 75% d’entre eux n’ont jamais été formés aux TNF ces Troubles Neurologiques Fonctionnels, et parmi eux, aux « crises non épileptiques fonctionnelles », le TNF le plus fréquent.
Nous apprenons ainsi que les TNF concernent 5 à 10% des consultations en neurologie, qu’ils touchent surtout des femmes dans trois quarts des cas, et qu’ils ont été repérés depuis longtemps « sous le terme d’hystérie puis de troubles de conversion ». Nous y apprenons aussi que ce sont « des symptômes neurologiques (mouvements anormaux, déficit moteur, troubles sensitifs) qui surviennent en l’absence de lésion du système nerveux ou de cause neurologique identifiée ».
L’auteur de l’article nous informe que la plupart des patients concernés connaissent des années d’errance de diagnostic avant d’être adressés là où ils auraient dû aller de prime abord : chez le neurologue. Il semble également que le pronostic de ces TNF soit mauvais (20% seulement des patients guériraient) et qu’enfin la mortalité serait aussi mauvaise que celles des autres affections neurologiques.
Le diagnostic des TNF apparaît cependant délicat « en l’absence de « consensus international et national », mais il existe heureusement « des signes très évocateurs et spécifiques » reposant « sur la normalisation, voire la disparition des symptômes lorsqu’on détourne l’attention… » le trouble serait alors la conséquence « d’un excès d’attention sur le membre symptomatique » …
Devant de tels troubles, nous sommes invités, selon un autre article du dossier consacré au Dr Hingray spécialisée à Nancy dans cette pathologie, à faire la « cartographie des facteurs 3P ». Les 3P, pour les ignorants que nous sommes, étant les facteurs « prédisposant, précipitants et perpétuant les symptômes ».
En parcourant les articles de ce dossier nous apprenons, oh surprise ! qu’on retrouve dans les antécédents des patientes concernées, des traumatismes psychiques et parfois même des viols. Voilà qui est en effet nouveau et troublant : tout ça pour ça, aurions-nous envie de dire.
Pour autant le doute est ménagé. Le Dr Hingray s’interroge : « quels facteurs, situations, émotions, précipitent les troubles ? Qu’est-ce qui les maintient ?… On se le demande en effet. Heureusement nous sommes vite rassurés : le Dr Hingray a soin de préciser que devant toute cette symptomatologie « l’association classique freudienne conversion, histrionisme et belle indifférence (…) apparaît complètement erronée, le concept d’hystérie vole en éclat ». Ouf ! on a évité de parler de la psychanalyse ! On l’a échappé belle !
On terminera cette revue de dossier en remarquant que selon les auteurs des articles, les traitements pharmacologiques se révèlent décevant, qu’une thérapie cognitive s’impose de prime abord, ainsi qu’une bonne information sur le diagnostic accompagnée de thérapies adjuvantes (un des articles est consacré à l’initiation au tir à l’arc comme moyen de détourner l’attention des malades de leurs symptômes).

On reste confondu devant tant de naïveté (comment faire du neuf avec de l’ancien) ou tant d’ignorance (concernant l’histoire de la médecine et de la psychiatrie). Il me semblait pourtant, en raison d’une longue tradition clinique, qu’à Nancy comme à la Salpêtrière, on devrait être parfaitement au fait de l’histoire de l’hystérie.
Car malgré toutes les réfutations du dossier, c’est bien d’elle dont il s’agit, elle y est ici parfaitement et minutieusement décrite, surtout si on s’est donné la peine d’en lire l’histoire (y compris pré-freudienne). La seule nouveauté de l’article consiste à l’affubler d’un jargon qui se veut celui de la science, la vraie, la dure, la pure. Là aussi rien de bien neuf : voir Babinski et son pithiatisme. Car l’hystérie, comme à peu près tout le vocabulaire technique de la psychiatrie, est devenue un gros mot, depuis bien longtemps détourné de son sens initial, et qu’il faut se retenir de prononcer, sauf devant un tout petit cénacle de praticiens presque honteux de considérer que cette entité a encore de beaux jours devant elle à condition que le grand public n’en sache rien, car elle a été, et reste, une maladie infamante bien pire que la syphilis d’antan.

Pour autant ce tour de passe-passe pour attrape-nigaud a des effets et des conséquences :
– Un clou supplémentaire dans le cercueil déjà bien plombé de la psychiatrie d’abord. Outre son manque d’intérêt récurent de la part des pouvoirs publics au sein d’une médecine elle-même en piteux état, la psychiatrie, grâce à l’invention des TNF se voit déporter un peu plus vers la neurologie (au même titre que la fibromyalgie la déportait vers la rhumatologie) dans le but plus ou moins assumé de la faire disparaître : elle a toujours été trop peu scientifique, emplie de facteurs humains peu contrôlables et évaluables au sein de la médecine 2.0. Les symptômes dont elle s’était auparavant emparée trouvent désormais des terres d’accueil où ils seront assurés d’une existence plus convenable et surtout plus sérieuse. Certes Charcot faisait déjà de l’hystérie une lésion neurologique fonctionnelle (soit un TNF avant la lettre), mais le concept de lésion fonctionnelle reste et restera toujours insatisfaisant pour le médecin, le vrai, le somaticien. Heureusement l’imagerie, elle aussi dite « fonctionnelle », ramènera in fine tout trouble de ce type vers la neurologie, de la schizophrénie à la bipolarité en passant par les différents délires. L’important étant que ces symptômes trouvent enfin leur respectabilité, et que toute folie disparaisse définitivement derrière une raison raisonnable.
– Le désintérêt et la désaffection pour l’histoire de la médecine et de la psychiatrie, peu, plus, ou mal enseignée à la faculté de médecine. Que des symptômes soient en lien parfois étroit avec l’histoire du sujet, voilà qui devient quasi obscène dans le monde de l’immédiateté, du « tout, tout de suite » et de l’hyper technicité. Qu’un individu comme Freud ait pu trouver intéressant et thérapeutique de détourner l’attention moins du malade que de ses médecins sur la vision du symptôme, pour faire entrer celui-ci dans une histoire, voilà qui est avant tout une affaire ancienne pour ne pas dire démodée. Comme me l’a dit une fois une de mes patientes « la psychanalyse c’est pour les vieux » ! Il est vrai que quand la consultation de base du médecin généraliste est à 25 euros, on n’a pas le temps de laisser les patients raconter leur vie.
– Mais derrière cet abandon de l’histoire des récits du malade sur sa maladie, se glisse subrepticement l’abandon de la relation du médecin au malade, elle aussi piteusement enseignée à la faculté. Comme beaucoup, je suis frappé par cette épidémie de burn out, comme l’on dit maintenant, parmi nos collègues médecins. Bien sûr, la difficulté de travailler dans des zones de désert médical et la pression que l’administration hospitalière fait subir de façon quotidienne à certains confrères ne doivent pas être oubliées, mais en écoutant justement les récits de certains, il apparaît que de nombreux collègues sont très mal à l’aise dans la relation avec leurs patients. Des sites internet sont même quasi spécialisés dans les plaintes et les témoignages de la lassitude éprouvée par des médecins dans leur exercice quotidien, face à la demande de leurs patients et leurs exigences. Comme si jamais on leur avait donné la possibilité de travailler et d’éprouver leur attitude face à ce type de patients et, plus largement, face à la difficulté d’un métier psychiquement éprouvant. Inutile de dire que la notion de transfert et de contre-transfert, qui restent des outils et des repères extrêmement précieux dans le travail au quotidien avec les malades, a quasi disparu, pour finir au grenier des accessoires d’un autre âge. Et pourtant : les groupes Balint et dérivés, en ont aidé plus d’un à faire face à des situations difficiles où l’aide des pairs, le recul et l’analyse, permettaient de dénouer des situations semblant au départ inextricables.

J’ai lu dans le même numéro du Quotidien un petit article selon lequel les patients interrogés sont globalement convaincus par le rôle des IPA (infirmiers et infirmière en pratique avancée), ces soignants à qui les médecins délèguent un certain nombre de tâches. Et pourquoi sont-ils convaincus, ces patients ? parce qu’on les écoute ! Tiens donc, comme c’est bizarre !

 

  1. Le Quotidien du Médecin n°9949. Vendredi 1er juillet 2022. ?