Nous en étions arrivés à une question fondamentale dans notre périple éditorial. En quoi le rapport au particulier, voire à la singularité, peut-il mettre en défaut la prise par le collectif ?

Si l’on rajoute en plus le climat de guerre dans lequel nous sommes pris, nous sommes dans un délire de fin de monde. Ce que nous sommes en train d’essayer de dégager c’est de rajeunir la question de Einstein à Freud (entre autres). « Pourquoi la guerre ? », nous ajoutons « aujourd’hui ».

Osons poser la question sous forme inversée : « Comment se fait-il qu’il y ait des périodes où nous sommes inversement dans… « l’après-guerre » ? »

À y regarder de plus près : dans le monde il y a toujours un endroit où les guerres fleurissent. À combien peut-on évaluer le nombre de morts dues à la débilité ou à la folie d’un seul… le paysage est épouvantable. Suivant le pays ou le continent où vous habitez vous avez de toute façon fait l’impasse sur bien des lieux « en guerre ».

Feu mon père me racontait qu’en plus de la menace de mort, dans la résistance, une horreur supplémentaire apparaissait quand un des compagnons avait été pris en flagrant délit de trahison. On est loin de la formule de Freud « seule la mort est pour rien »[1].

À toute petite échelle et si on a la chance de pouvoir poursuivre sa vie, on peut recenser dans son histoire la question suivante : « Dans ton périple combien de tes proches t’ont-ils trahi ? ». Bien sûr la question se pose dans différents niveaux de trahison.

On a plutôt envie de se réfugier dans la phrase de Georges Brassens : « Quand je cherche les amis, je regarde le gazon. »

Dieu merci (!), l’analyse des trahisons montre que l’on a été souvent trahi, en regard de son attente. Rassurant ? Référons-nous à la Doxa psychanalytique. Et voici le chemin escarpé vers l’amour déçu, mais pas seulement ! Ne lâchons pas la « hainamoration ».

En temps de guerre les trahisons sont souvent synonymes de réalisations meurtrières. N’oubliez pas de vous reporter aux « Épurations ».

Plus tard, durant la révolution de 1968 on osait prétendre qu’il y a « un esprit de droite et un esprit de gauche »[2], on dirait aujourd’hui totalitaire ou démocratique…

Aujourd’hui on radicalise les choses. Soutiens-tu la montée du fascisme et de l’extrême droite, oui ou non ? Les référents sont tombés.

Je dirais aujourd’hui qu’il n’y a pas de zone intermédiaire. Et aux psychanalystes aussi de brandir ce drapeau : celui de ne pas se taire, ailleurs que dans la cure.

Comment pourrait-on soutenir la naissance du « sujet de l’inconscient » et à la fois désigner une série de tiers exclus ? Mais il s’agit au moins de dénoncer que ceux qui évitent cette question vont obligatoirement vers un « intellectualisme » ou dans le monde de la rationalisation secondaire.

Dans un monde où l’évolution de la mythologie familiale va souvent dans le sens de la « parentalisation des enfants », enfant que l’on met en position parentale, l’angoisse de destruction est au rendez-vous à tous les croisements.

La psychanalyse est aussi là pour remettre en place l’ordre des générations, où chaque génération à ses spécificités face aux « traumatismes », face à ses « fantasmes » et où apparaît une nouvelle « mythologie » comme on dit pour le congrès[3].

Et tout cela dans un déni de la réalité qui flirte avec l’ordre de la « Verwerfung ».

Comment peut-on continuer à vivre presque « normalement » quand les centrales atomiques sont occupées comme des bunkers et que de part et d’autre on s’envoie des missiles ?

Peut-on parler encore d’un « monde civilisé » ? ou a-t-on développé les cultes de Thanatos ?

Alors, espérons que la cure analytique va sauver quelques analysants, pour témoigner du clivage entre Eros et Thanatos.

Par exemple qu’il n’y a pas de « leçons de l’histoire mais que l’historiole de chacun doit tenter de s’inscrire dans le monde pour recréer des « conflictualités symboliques » qui ne sont pas des guerres.

Et pourtant, vous me direz, on assiste à des renaissances : « L’OTAN réexiste, l’Europe se conflictualise, les femmes parlent et se révoltent en Iran ».

De plus, j’ai été agréablement frappé par notre première séance de ciné-club de la FEDEPSY, à partir du film Roland Gori, une époque sans esprit, réalisé par Xavier Gayan, animé par Georges Heck, Marc Levy et moi-même, où, à ma grande surprise, une nouvelle génération est apparue et a posé des questions autour de l’inconscient et de la politique aujourd’hui.

Cela laisse de l’espoir et j’en profite pour conseiller trois titres qui prépareront mon cours :

Pourquoi écrire ? de Philip Roth[4] ;

Lacan, lecteur de Joyce de Colette Soler[5] ;

L’Empire éclaté d’Hélène Carrère d’Encausse[6].

À nous de prendre le relais… nous étions plus de 50 à cette première rencontre.

Merci aussi à Georges Heck et au Cinéma Star.

NB : N’oubliez pas de nous faire part des différents enseignements des séminaires ! Qui relève le défi ?

  1. S. Freud (1938), « Le clivage du moi dans le processus de défense », dans Résultats, Idées, Problèmes II, Paris, Puf, 1985. ?
  2. Cf Morvan Lebesque (1911-1970), journaliste et essayiste français, chroniqueur au Canard enchaîné entre autres. ?
  3. Le prochain congrès de la FEDEPSY aura lieu en 2024 sur la thématique « Traumatismes – Mythes – Fantasme. Pourquoi la guerre aujourd’hui ? », avec trois journées préparatoires sous forme de forum en 2023/2024. ?
  4. P. Roth, Pourquoi écrire ?, Paris, Gallimard, 2019. ?
  5. C. Soler, Lacan, lecteur de Joyce, Paris, Puf, 2015. ?
  6. H. Carrère d’Encausse, L’empire éclaté, Paris, Flammarion, 1978. ?