Je donnerai quelques points sur une manière d’appréhender l’expérience de psychiatre et de psychanalyste au sein d’un hôpital psychiatrique, en l’occurrence dans un pôle de pédopsychiatrie. Le choix d’une pratique hospitalière et universitaire oriente forcément cette position. La pratique analytique est plurielle (différences entre un psychanalyste en libéral, en institution, en fonction de sa place dans l’institution, etc.).

Au quotidien, il ne s’agit pas tant de faire exister le mot « psychanalyse » dans les institutions que de tenir une fonction et une place laissant un espace d’élaboration psychique :
– Une fonction analytique qui permet, par exemple, qu’une demande résonne, qu’un message s’adresse, ou qu’un symptôme individuel ou institutionnel se questionne autrement. Ce qui introduit un intérêt pour l’inconscient – qu’on le nomme ainsi ou pas.
– Une place qui, par l’espace physique et par le poste qu’occupe une personne, oblige les autres de l’institution à faire avec elle. Si le poste n’est pas occupé par un analyste qui laisse place, par son écoute et sa parole, au manque inhérent à la vie, à la reconnaissance du « cafouillis » humain, alors la fonction ne peut être tenue. L’incarnation n’est pas à minimiser : il n’y a pas d’écoute analytique sans analyste en chair et en os… en libéral ou en institution.

Si se battre pour la survie de la psychanalyse dans les institutions lui coûte la possibilité d’être transmise, alors que penser de cette dite volonté/besoin de survie ? Ne serait-ce pas fétichiser un mot voire une idée (devenant ainsi idéologie) ? Céder sur le mot serait-ce toujours céder sur la chose ?

Une des fonctions de l’analyste en institution serait donc de faire résonner le manque (peut-être avant tout le manque de savoir total, complet ou cherchant à l’être). Manque qui permet une autre lecture, un cheminement, une place à une élaboration inconsciente. Cette ouverture du sens ouvre un angle inouï jusque-là, et ainsi peut entraîner au sein des équipes une relance vis-à-vis de l’intérêt porté au mystère qu’amène la clinique. L’analyste alterne, en fonction des situations, entre donner du sens ou retrancher du sens. La fréquentation de l’analyste laisse passer une certaine modulation dans le rapport au manque. Cette fonction de passeur se retrouve également à d’autres niveaux dans l’institution. Lorsqu’un patient, ou sa famille, vient nous voir, il le fait d’abord, pouvons-nous supposer, avec l’adresse vers une structure de soin public, et non une recherche d’analyste. Peut-être que pour une partie d’entre eux l’approche psychanalytique, sans parler encore de cure analytique, rencontrera un certain écho. Encore faut-il leur laisser le temps de choisir ainsi que le temps de s’y familiariser. Le psychanalyste ici doit souvent initier son patient à cette approche. Et tout particulièrement dans notre société où cette approche n’est que peu connu ou chargée d’a priori ou de représentations négatives. Cela ressemble bien à un retour à Freud, qui expliquait sa méthode et sa compréhension du psychisme à ses patients. L’énigme, incarnée par un certain silence – absolu et systématique –, lorsqu’il ne s’agit pas d’obscurantisme ou d’exercice de pouvoir, n’a plus ou rarement son efficace. Expliquer, déplier, ou tout simplement parler à l’autre, n’abîmera pas l’autre énigme pour laquelle on vient nous voir. Pas de panique ! Donc passeur entre un discours courant, celui qui nous entoure, celui qui véhicule certaines idéologies (qu’elles soient liées au néolibéralisme, à la société de consommation, à la prédominance de l’approche dite scientifique du soin, etc.) et une approche singulière du psychisme et du collectif, celle héritée de la tradition psychanalytique. Pour cela un travail sur la langue, autant celle de la culture ambiante, que sur celle de la psychanalyse (et notamment une révision du « jargon ») apparaît important. En effet, y a-t-il analyse sans effet sur la langue ?

L’analyste interpellé dans sa fonction de psychiatre peut aussi être passeur d’un discours ambiant médicalisé, où la demande prend une forme médicale (appel au diagnostic, au bilan, etc.), vers un discours plus singulier. À condition de prendre en compte la réalité du patient. Celle-ci véhicule beaucoup d’affect, elle ne peut pas être rabattue d’un revers de main. Eh oui, cette réalité est en partie constituée du discours ambiant.
Ce même psychiatre peut être également interpellé comme médecin, et notamment dans la possibilité de prescription médicamenteuse. Comment le psychiatre-psychanalyste peut se débrouiller en institution avec le médicament ? Pour ma part, un certain usage des médicaments peut intéresser le questionnement analytique (place de l’objet, du corps, de l’excitation et pare-excitation…)

Enfin, comment se positionne le médecin-analyste dans la société actuelle ? Quelle position et discours tient-il en public ? S’il travaille en service public en général, et en service hospitalier en particulier, comment se débrouille-t-il avec le manque criant de moyens et les « sélections » de patients que cela implique ?

Encore un point pour finir : la place et fonction de l’humour en institution… Peut-être aurais-je dû débuter par ce point !