Emmanuelle Chatelat fait écho à l’invitation à l’écriture parue dans le numéro de décembre, ainsi qu’à différents textes de La Lettre et d’ailleurs.
De plume en plume elle entrelace pour nous quelques références poético-chansonnières, puis philosophiques et psychanalytiques, pour essayer de saisir dans les tressages quelque chose de l’indicible du sujet et de l’humain.

 

De sous ma couette de plumes je lis cette invitation chaleureuse de Liliane à en prendre la plus belle.
Où trouver une belle plume ?
J’hésite à prendre la mienne mais après tout, le beau est subjectif …

« Oh-Oh-Oh Mon truc en plumes – Plumes des oiseaux, des animaux – Mon truc en plumes – c’est très malin – Rien dans les mains – Tout dans le coup de reins … C’est pas sorcier – Viens l’essayer – J’vais te faire danser… »
Bernard Dimey ; Jean Constantin, Mon truc en plumes

Où trouver du papier glacé ?
Le thermomètre affiche -12 degrés il suffirait de poser mon ramage sur le rebord de la fenêtre…
Laisser les mots prendre leur envol ?
Ouvrir la cage et les laisser prendre leur liberté…

« Ouvrez, ouvrez, la cage aux oiseaux – Regardez-les s’envoler c’est beau – Les enfants si vous voyez des petits oiseaux prisonniers ouvrez-leur la porte vers la liberté… Une fois dans votre vie vous qui êtes pas comme eux – Faites un truc qui vous rendra heureux… »
Pierre Perret, La cage aux oiseaux

Ne vont-ils pas me manquer ?
Contrer ce pessimisme ambiant dont parle Cyrielle. S’envoler…
Me mettre en chemin vers mon secrétaire ou prendre mon secrétaire sous la couette et y trouver une plume ?

« Au clair de la lune – Mon ami Pierrot – Prête-moi ta plume – Pour écrire un mot – Ma chandelle est morte – Je n’ai plus de feu… Au clair de la lune – On n’y voit qu’un peu – On cherche la plume – on cherche le feu – En cherchant d’la sorte – Je n’sais c’qu’on trouvera – Mais je sais qu’la porte – Sur eux se ferma »
Auteur inconnu, Au clair de la lune

Plum(m)es et papier glacé répondent présents.
Alors croisons nos mots ; jouons aux mots croisés. Tels des mousquetaires et laissons les mots être nos mousquets et mousquetons.
Au mot de rébellion me vient le mot de résistance dans l’exercice de ma pratique psychanalytique. Telle que j’essaie de la pratiquer.

Résistance à une certaine servitude volontaire pour commencer et pour reprendre La Boétie dont il est sans doute le premier à aventurer l’idée que les relations sociales ne doivent, en aucune façon, entraver l’indépendance des individus qui en sont les protagonistes.
Les admonestations qu’il adresse aux victimes d’une servitude volontaire adressée par lui à un état morbide, n’ont rien perdu de leurs pertinences, ni de leur modernité.
Or quelle est la cause des malheurs qui accablent une quantité considérable de personnes. Faut-il les imputer à la toute-puissance d’un impitoyable Maître ?

« Soyez résolus à ne plus vouloir servir et vous voilà libres ».
« Je ne veux que vous le poussiez ou vous l’ébranliez, mais, seulement ne le soutenez plus et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre et se rompre.
Supporter la férule ne sollicite rien que résignation et passivité.
Créer des conditions propices aux libertés implique conscience, détermination, effort. »
« Là où les bêtes capturées regimbent préférant parfois la mort à l’esclavage, les citoyens ont abdiqué leur droit de nature.
Une corruption générale du sens humain a soudé dans un accomplissement mortifère maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités. »

Pour La Boétie, la liberté n’est pas l’objet de la volonté, mais Désir et liberté sont confondus. Désirez et vous êtes libre car un désir qui n’est pas libre n’est pas concevable, n’est pas un désir.
La liberté c’est ce que nous sommes, et si vous n’êtes pas libre, c’est que vous avez renoncé à votre désir.
Sans le soutien actif du peuple, les tyrans n’auraient aucun pouvoir.

Lacan mettra en évidence avec les quatre discours, le discours du maître que nous retrouvons dans les différentes formes de la névrose. Ce qui produit un sujet, c’est-à-dire non pas en général un homme ou un individu mais un être dépendant du langage, c’est qu’un signifiant vienne le représenter auprès de tous les autres signifiants et, par là même, le déterminer. Mais à partir de là il y a un reste.
Le concept de signifiant en psychanalyse, pour le dire rapidement, c’est la manière qu’on a de définir le bain langagier dans lequel on se situe.
Bain langagier que Lacan appelle souvent le Grand Autre, le trésor des signifiants.
En effet, dès lors qu’il s’inscrit dans le langage, le sujet n’a plus d’accès direct à l’objet.

Pour entendre quelque chose de ces quatre discours, je vais tout d’abord faire un passage par la logique de l’inconscient, qui est de prendre acte du fait que quand nous parlons nous n’entendons pas nécessairement ce que nous disons.
La psychanalyse a une vertu puisqu’elle crée un espace où l’on peut s’entendre.
N’est-ce pas cela la pratique de la psychanalyse ?
La psychanalyse c’est approcher comment des mots opèrent.
Comprendre ce qui fait qu’on existe en parlant. Mais ce qui fait qu’il y a ce lien particulier entre ce réseau signifiant, ce monde symbolique, l’univers imaginaire, notre corps et ce réel auquel on accède par des expériences extrêmement violentes.
Le but est de produire une verbalisation qui va produire l’objet petit a comme reste et ce qui est visé, c’est tout notre travail qui est de produire du sujet.
Changement de discours comme production de la subjectivité. La psychanalyse nous enseigne que ce sujet, c’est quelque chose d’éphémère.

Au départ, notre petit être humain est la proie de jeux pulsionnels et la question de l’humanisation c’est la capacité que nous allons avoir à transformer le destin de ses pulsions.
Ce qui fait ce que nous sommes aujourd’hui, c’est la capacité qu’on a eue, de pouvoir faire passer les pulsions d’une satisfaction directe à d’autres destins. Parmi d’autres destins qui ont à voir avec la sublimation, avec le fait qu’on va utiliser cette force, cette poussée pour avoir une satisfaction directe, il y a là, la question de la verbalisation, de la parole et la question de la jouissance.
À partir du moment où on renonce à cette satisfaction directe, on va être confronté à une perte de cette jouissance.

Dans l’histoire des quatre discours, changement de discours comme production de subjectivité, l’objet petit a comme reste. Reliquat de ce qui n’est pas passé dans le signifiant et donc encore porteur d’une certaine jouissance.

Les mouvements qui vont produire du sujet c’est quand on passe d’un état à un autre, d’un discours à un autre, d’un signifiant à un autre.
On passe d’une position subjective à une autre à chaque fois. Ce mouvement va être accompagné d’une chute de l’objet petit a. C’est la représentation symbolique de la chose.
Toute production subjective est liée à une perte de jouissance. Nous existons à tous les endroits où nous supportons quelque chose de la perte.
Question de la théorie du manque. Ce n’est pas dans l’avoir qu’on s’en sort, c’est là où on est capable d’en supporter la perte.

En cela, la méthode psychanalytique, qui par sa découverte de l’inconscient s’emploie à étudier tout ce qui se trouve en deçà de la volonté rationnelle remettant en question le mythe de l’absolue maîtrise de la raison, prolonge le geste de La Boétie.

Et d’ouvrir à la résistance, symbole de notre lutte contre la déshumanisation dont l’une des voies essentielles est la sublimation.

« L’humanité n’est même plus une légende, elle est un mythe »
Romain Gary