Marie-France Schaefer poursuit les réflexions de son article paru dans La lettre de la FEDEPSY n°10, autour de la thématique du « genre ». Elle mêle références « théoriques » et échos directs de la pratique, une forme d’association libre côté fauteuil, qui lui permet d’aborder de près les arêtes de la clinique.

 

Le titre du livre de Laurie Laufer Une psychanalyse émancipée me plaisait beaucoup dans ma recherche clinique qui consisterait à écouter sans être embarrassée de mes connaissances, de mes opinions, de ma culture, mon éducation et de ma formation. Le signifiant « émancipé » sonne très bien.

Et toujours cette question :

Comment écouter des histoires invraisemblables, des raisonnements étranges ?

Le meilleur chemin est de se documenter sur les thèmes actuels pour déjouer les influences actuelles.
S’émanciper à la fois de la théorie provenant de ma formation et du bombardement médiatique.
Le sujet devant moi, qui me parle est un sujet en souffrance. Sa souffrance s’exprime dans le corps. Ce sont les signifiants et non les récits que je dois écouter pour travailler. Au-delà du signifié, je dois entendre le signifiant, l’équivoque de la langue, il n’y a pas d’injonction à guérir. Tout s’inscrit dans l’histoire singulière. Permettre au sujet d’advenir quel que soit ma position intellectuelle, c’est une recherche.
Déjouer chez moi la tendance à relier ce que j’entends à ce qui court dans la culture passe par la confrontation à ce qui se dit et qui embarrasse.
D’où vient ce que je pense ? Et qu’est-ce que je fais des influences et des nouveaux discours ?

Le genre

Le thème qui revient est celui de la différence : dans la théorie du genre, il s’agit de « repenser les catégories qui apparaissent immuables. Il permet de remettre du conflit, de l’instable, de l’hésitation, de l’intranquillité dans les façons d’appréhender les différences quelles qu’elles soient » (L. Laufer p.24)
Cette remise en question de la différence serait une ouverture, serait plus créative.
Laurie Laufer (p. 30) cite Freud qui constate la mobilité de la libido qui est capable de passer d’un objet à l’autre, le corps tout entier étant érogène et Lacan prolongeant cette idée : « Dans le psychisme, il n’y a rien par quoi le sujet puisse se situer comme être de mâle ni être de femelle ».
Plus loin, elle cite Foucault, qui reprend Freud restituant dans la pensée médicale la possibilité d’un dialogue avec la déraison. Les hystériques n’étaient pas des malades mais inventaient la possibilité de faire des symptômes corporels un langage.
Il s’agit d’écouter la déraison.
Pour moi, il y a une confusion dans les discours. Cette mère me soutenait que le problème de sa fille venait d’un fonctionnement spécial du cerveau. Pour elle, c’était scientifiquement prouvé. Les médicaments et la chirurgie résoudraient les problèmes. On revient à une médicalisation et une impasse sur la problématique personnelle qui est avant tout le regard de l’autre (et de l’Autre) sur son corps. « Nous savons tous qu’un enfant ne peut d’abord qu’acquiescer à ce que ses premiers autres veulent de lui et pour lui » (Jean-Pierre Lebrun p.70). On laisse maintenant croire que le choix du sexe serait inné chez l’enfant.
De quoi parle-t-elle ? Du cerveau, partie nommable du corps qui pourrait annuler la partie visible et incontestable chez la plupart des êtres humains. La déraison est légitimée.
Quelle raison faut-il garder ? Et finalement, pour le psy, il ne s’agit pas d’écouter la déraison. Il faut s’éloigner du discours fascinant par cette folie du raisonnement.
« Le Graal serait de ne plus avoir de doute sur le fait d’être identifié comme une femme » (article du Monde. Chirurgie esthétique). Le Graal étant ce qui ne peut être atteint par définition. Et le fantasme est d’être libéré du doute.

La théorie Queer

Les éléments essentiels de la théorie Queer sont le brouillage des frontières et l’extrême importance accordée au langage. (Judith Butler)
Elle considère que le genre est construit socialement. Ce serait un ensemble de choses que la personne fait et non quelque chose à voir avec ce qu’elle est. La pression sociale pousse à la normativité. L’objectif est de se libérer des catégories et des attentes.
Dans cette théorie, l’utilisation du langage prend une grande importance. Il faudrait transformer les manières de parler pour respecter une fluidité. On assiste à une prolifération de termes visant à définir les moindres différences d’identité de genre et de sexualité. Une sorte de chasse aux expressions qui seraient non respectueuses se met en place.
C’est bien ce que j’ai vécu face aux personnes se nommant non binaires ou trans. La pression était forte sur moi, réfléchissant à ne pas bloquer l’échange. Le meilleur chemin étant, bien entendu, de se taire.
Comment entendre le signifiant dans cette torture du langage ?
Une autre question se pose au niveau éducatif : comment l’enfant pourrait-il s’opposer aux normes pour se construire en tant que sujet s’il n’y a pas eu une éducation des normes ?

Woke

« Le triomphe des impostures intellectuelles »
Le pouvoir est injuste, il est partout, il se manifeste par des biais invisibles par le fait d’avoir été perçus comme « normaux ». Toutes les prises de paroles doivent être examinées de près afin de découvrir quels discours ils reprennent avec l’idée que le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie ou d’autres préjugés latents sont présents dans ces discours et qu’ils sont endémiques à la société qui les produit.
Le terme « Woke » renvoie au fait d’avoir pris conscience de ces problématiques et d’être plus à même de les percevoir. L’intérêt porté à la langue est très important.
Le grand public, on le constate en particulier dans les théories complotistes, n’a plus confiance dans la parole du monde scientifique et universitaire, ils ne sont plus les garants de ce qu’il faut penser et croire.

Le mot à dire de la psychanalyse

Caroline Eliacheff devait tenir une conférence à Lille et en a été empêchée par des activistes LGBT, sa conférence prévue à Paris le 20 novembre a été annulée.
On assiste à une interdiction à débattre, ce qui est contradictoire avec une demande d’ouverture et de créativité, une recherche d’idées nouvelles.
À la fin de leur essai, Le triomphe des impostures intellectuelles, les auteurs posent des « oppositions de principe ». L’une d’elle est : « Nous nions la valeur de toute approche théorique qui refuserait de se soumettre à la critique ou à la réfutation et nous soutenons que cela relève du sophisme et non de la véritable recherche universitaire » (p.403).
Jean-Pierre Lebrun (La dysphorie de genre) se réfère au film Petite fille et se place sur le plan à la fois de la clinique et du discours des psychanalystes. Il pose la question fondamentale de la réponse à la demande. Ce qu’on entend quand on met en question la légitimité de répondre à la demande d’un enfant est : « Qui êtes-vous pour refuser à un enfant une satisfaction aussi fondamentale ? Pour punir cet enfant et l’empêcher de vivre la vie qu’il estime devoir être la sienne ? » (p.86)
Est-ce vraiment le souhait de l’enfant ? Les enfants se séparent progressivement, psychiquement de ce que veulent les parents pour lui.
Pour le psychanalyste Charles Melman : « Vous n’avez plus socialement aucune instance qui vous autorise à soulever la moindre objection (…) La parole n’est plus soutenue que par votre caractère réactionnaire et le fait que vous êtes un vieux jeton attaché à des valeurs réactionnaires (…) Vous refusez le progrès. ». (p.87)
Ce que les psychanalystes doivent rappeler, c’est qu’il faut résister à la sacralisation de la demande et reconsidérer le désir. Ce désir qui ne sera pas satisfait et qui fait souffrir. Oui, l’enfant souffre devant la frustration, devant la réalité et cela l’aide à se construire en tant que sujet. L’autodétermination est un leurre.

En thérapie

Écouter et travailler l’écoute. Tout ce que j’entends s’inscrit dans une histoire singulière particulière. Écouter l’humain, les mythes anciens et actuels et faire en sorte que le discours soit celui du sujet.

Bibliographie

Laurie Laufer, Vers une psychanalyse émancipée. Renouer avec la subversion, éd. La Découverte, 2022.

Helen Pluckrose ; James Lindsay, Le triomphe des impostures intellectuelles. Comment les théories sur l’identité, le genre, la race gangrènent l’université et nuisent à la société, éd. H&O, 2021.

Charles Melman ; Jean-Pierre Lebrun, La dysphorie de genre. À quoi se tenir pour ne pas glisser, érès, 2022.

Films

Petite fille, Sébastien Lifshitz.

Girl, Lukas Dhont.

De très nombreux titres depuis 2000 sur le thème des transgenres

Série ARTE

C’est pas ton genre

Articles

Marianne 17/11/2022

Caroline Eliacheff censurée par les activistes LGBT à Lille

The Gardian interview16/09/2017, When Elan Anthony transitioned 20 years ago, it was hard but equally difficult and isolating to day has been the process of detransitioning »

Le Monde 15/09/2021, Chirurgie : Ces femmes qui chassent le fantôme de la masculinité de leur visage.

Philosophie Magazine Décembre 2022-Janvier 2023, La question Woke : Peut-on parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ?