La BRFL, que Daniel Lemler présidait jusqu’à aujourd’hui, se transforme. Elle devient GEP, II importait que quelques traits soient dessinés, parcours de signifiants qui indiquent et les accidents et la continuité du mouvement.

La BRFL : 15 années de fonctionnement institutionnel
Daniel Lemler
Chaque année depuis 1985, nous nous penchons sur le cas de la Bibliothèque de recherche freudienne et lacanienne, la BRFL. Lors de l’assemblée générale, il était convenu de trouver les bons mots, de dispenser les doctes conseils qui allaient lui permettre de poursuivre, bon an, mal an, son existence.
Si elle a souffert, pendant des années, d’une anémie financière pernicieuse et chronique, nous avons toujours trouvé le moyen d’assurer les transfusions de numéraire à temps pour assurer sa survie. Elle a aussi souffert de problèmes d’identité et comme il ne saurait exister de synthèse où l’on ne resitue la situation du sujet dans le contexte de son histoire singulière, je rappellerai que la BRFL, dont on ne cesse de demander à quoi elle sert et ce qui s’y passe, n’a cessé d’évoluer au fur et à mesure de son histoire.
Pour mémoire donc et ad memoriam, la BRFL a été fondée en 1985, quelques semaines après le décès de J.-P. Bauer, dans le contexte d’agitation causé par le procès Stécriture et la publication des œuvres complètes de Freud en français, sous l’égide de Jean Laplanche. Il s’agissait, dans le cadre de l’association, d’assurer la diffusion des œuvres de Freud et de Lacan.
Nous étions en pleine préparation du congrès sur le rêve. Y a-t-il lieu d’en tirer une quelconque interprétation ? Jean-Richard Freymann, dans son texte inau¬gural «Pour instituer PEI, comme lieu constituant(1)», parle à ce propos d’acting out de fondation régionale.
Enfin, sur les fonts baptismaux de la BRFL, nous trouvons l’élaboration de la revue Apertura.
A cette époque, la Bibliothèque est virtuelle. Elle n’est pourtant pas une hallucination et manifeste son existence par un lien qui fait trace, Le Curieux, le courrier de la BRFL.
Les textes « institutionnels » parus dans Le Curieux marquent autant de balises dans l’histoire de la BRFL. Puis est venue une période où ce journal a perdu sa fonction de rendre compte des diffé¬rentes élaborations sur les questions institutionnelles; cela a marqué le signe et la logique de sa disparition.
A relire les statuts de l’association, datés du 22 juillet 1985 et parus dans le numéro 1 du Curieux, en 1986, il apparaît tout de suite que la BRFL n’a cessé de poursuivre ses objectifs initiaux:
— offrir un outil de travail et de recherche à partir de la pratique analytique et de l’écrit;
— proposer à chacun un instrument adéquat à l’avancée du travail scientifique et favoriser la diffusion de la psychanalyse freudienne et lacanienne;
— en pratique, créer une bibliothèque et un fichier informatisé, mettre en place des structures et des lieux de travail, ainsi que des publications.
Ces objectifs se sont traduits d’emblée par une rubrique de recherche méthodologique, dans laquelle est souligné le caractère problématique de la création d’une bibliothèque par des psychanalystes, fût-elle freudienne et lacanienne. La question de «l’appartenance institutionnelle» se pose aussi: quelle commune mesure peut-on trouver entre la mise en place d’un lieu qui interroge le rapport à l’écrit et à l’écriture et des lieux institutionnels qui mettent sur le chantier la « formation » des analystes ? Et s’il y a intersection (apparition d’un signifiant qui fera encore parler de lui) possible, pourquoi ne pas proposer un ailleurs pour s’y interroger ?
Pourtant, la BRFL est à cette époque « un essai d’entrecroisement dans le “pas à pas” face au public, mise en place par des psychanalystes autour du texte analytique (sic)». On y parle aussi de fonctionnement, avec déjà une insistance : les services de la BRFL sont réservés à ses membres.
Le numéro 2 du Curieux poursuit les questions de méthode sur le malaise dans la civilisation (millésime 1986). Il est question de « l’intérêt, mais parfois aussi de l’inquiétude des psychanalystes face à la situation de la psychanalyse par rapport aux différents discours qui nous entourent». Cette inquiétude trouve son aboutissement aujourd’hui !
On parle de l’offre à ses membres de «manger du livre», parallèlement à la constitution d’un outil de travail, au fur et à mesure des demandes.
Le malaise s’exprime ainsi: «Ces entrecroisements des différents discours qui font nœud symptomatique sont à l’image de cette période que nous vivons, où le “message” freudien est mis à cette rude épreuve de se heurter à nouveau aux vieux démons de la suggestion et du discours totalitarisant». Nous ne changerions pas une virgule aujourd’hui.
Est alors créé un groupe de travail en vue de la mise en place potentielle d’un séminaire de recherche. Parallèlement au Curieux, le travail d’élaboration du premier numéro d’Apertura commence et Le Feuillet paraît. Ce dernier sera symptôme du rapport de nombre d’entre nous avec la Convention psychanalytique, avec laquelle il marque l’interface, dans une valse hésitation permanente, qui a pour effet de le situer dans une position mœbienne par rapport à l’institution. Selon le principe d’initiative, aux fondements de la Convention psychanalytique. Le Feuillet offre à certains la possibilité d’écrire et de publier leurs balbutiements théoriques, souvent à partir d’un exposé soutenu au séminaire de recherche qui a débuté chez Jean-Richard Freymann en janvier 1987, boulevard de la Victoire.
Dans le deuxième numéro est annoncé un congrès sur le mot d’esprit, pour septembre 1988. Le numéro 3 (1987) poursuit les réflexions méthodologiques. Toute lecture est-elle une interprétation ?
Est dénoncé un mouvement oscillatoire entre une historisation de Lacan dans le champ de la culture et des idées, et le travail du séminaire, à la lettre, en référence à une pratique freudienne.
L’idée d’un Gesamtregister lacanien apparaît et «pour ce faire, et quelles que soient les réticences des psychanalystes à cet égard, l’outil informatique a son rôle à jouer». Nous n’avons toujours pas fini de gloser sur notre rapport avec ce nouvel outil qui va entrer dans la Bibliothèque.
La deuxième assemblée générale a lieu le 6 mai 1987 devant 25 membres sur 143. Freymann, alors membre du secrétariat scientifique, y prononce ces mots, tirés de son argument présenté en exergue des projets de la BRFL.
« Voilà déjà près de deux ans que nous nous réunissons à quelques-uns pour échanger, sur un mode bien spontané, nos idées, nos rêves, nos délires aussi, concernant un espace d’échanges autour de l’écrit et aussi autour d’une question qui touchait les notions de “psychanalyse appliquée”, “psychanalyse en extension”.» Il ajoute ces mots, importants pour resituer la genèse de l’association : « Les apports et interrogations de Bauer sur la langue fondamentale, sa manière singulière de s’ouvrir aux autres champs que la psychanalyse, n’ont pas été étrangers à l’idée même de la BRFL ».
Notons le projet de «mettre en place des lieux diversifiés qui pourraient interroger, au regard du moment où nous fonctionnons, les voies du cheminement du “sujet”. Il y a lieu de situer constamment les projets de la BRFL par rapport au champ psychanalytique et en particulier dans le rapport du psychanalyste au texte, qui peut être subverti par la tradition orale de la Durcharbeitung».
Il est repéré que nous sommes alors dans un après-coup, qu’il s’agit de préciser les objectifs, et pour cela de mettre en place des structures de réflexion. Un secrétariat polyvalent a déjà débuté son travail pour assurer entre autres la transmission, entre les membres et avec d’autres, du Feuillet, d’Apertura ou pour mener à bien le secrétariat local de la Convention psychanalytique.
Naît ensuite le projet de mettre en place un cartel qui regroupera les responsables de la BRFL et d’autres pour s’interroger sur le fonctionnement. C’est l’ébauche du futur collège de direction. L’idée d’inviter des auteurs pour des débats autour d’un livre est émise, qui sera le prélude à la future collaboration avec les librairies. Enfin, Dominique Weil propose une possibilité d’association avec des instances universitaires dans «la perspective d’un travail en commun, selon un principe de relais ».
Le numéro 4 de 1987 voit fleurir des réflexions sur la question totalitaire. On peut y lire l’éditorial de Daniel Lemler, intitulé « La Bibliothèque entre autodafé et livre brûlé », ou encore la lecture que propose Lucien Israël du livre de Lafont sur l’extermination douce, la lecture du livre de Farias, Heidegger et le nazisme, par M.-P. Florian et une recherche bibliographique par J.-R. Freymann et Joël Fritschy. Une rubrique est ouverte qui recense les séminaires de Lacan et la traduction de l’Entwurf de Freud, proposée par Nassif, débute. Les questions méthodologiques se poursuivent. Constat est fait de la diversité des approches proposées. «La Bibliothèque découvre peu à peu sa spécificité à côté de l’effet dynamisant du Feuillet et de la mise en place d’Apertura qui déborde le cadre de nos activités régionales. »
Un nouveau signifiant apparaît, qui aura son heure de gloire : la mise en évidence de questions fondamentales qui constituent aussi des points de butée — spécificité du discours analytique, montée des discours totalitaires, maintien de l’écart et de la convergence entre les découvertes de Freud et les apports de Lacan, transmission de Is psychanalyse, retour à la clinique psychanalytique… Toutes ces questions nous ont mis au travail.
Dans ce même numéro 4, un aperçu du fonctionnement actuel de la Bibliothèque est donné. On y apprend l’acquisition de l’outil informatique, la mise en place d’une permanence, la participation à la réalisation de la revue thématique de recherche psychanalytique Apertura, ainsi que l’organisation du congrès sur le Witz. Enfin, es annoncée la publication par la BRFL du séminaire Désir et fantasme, dont quatre volumes sont déjà parus, et la diffusion du cours de Freymann.
1988 est l’année du congrès sur le Witz.
La troisième assemblée générale a lie le 16 mars 1988. S’y posent les problèmes de l’informatisation et de l’adaptation du Curieux à sa fonction de bulletin de liaison.
Le numéro 6 est centré sur la préparation du congrès et contient un dossier sur Kafka. Ce dossier me semble avoir constitué le prélude au virage du Curieux dans sa fonction de questionnement institutionnel.
Le numéro 7 reste centré sur le congrès et publie le compte rendu de quatrième assemblée générale, qui s’e tenue le 22 février 1989. Sont évoqué la question des rapports de la BRFL avec les étudiants et celle des acquisitions. On note la mise en place de cartels, ses quatre axes : recherches bibliographiques, étude et recherche de textes anciens, Le Curieux, le travail sur les séminaires de Lacan. Le rapport moral interroge la question de la transmission, avec ce titre « Un trou de mémoire à la Bibliothèque ».
A partir du numéro 8, Le Curieux perd sa dimension de lieu de réflexion para-institutionnel pour devenir une revue «comme les autres».
Nous apprenons dans le numéro 10 que la BRFL s’est dotée d’un local ; nous sommes en 1990. La prochaine assemblée générale est prévue pour le 15 février 1991. Est encarté dans ce numéro 10 le Courrier BRFL-Intersection n° 1. Il y est fait état de l’offre « d’un cadre minimal, un lieu d’intersections à venir». L’expérience  se clôturera chaque année par une journée interne.
On note parmi les propositions de participation à cette nouvelle expérience BRFL-Intersection un projet de cycle de conférences sur l’histoire de la psychanalyse, des rencontres sur les points de butée de la formation des analystes, et un cartel à partir du séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant.
Le numéro 15-16 du Curieux, en 1993, sera le dernier. Est mentionné le projet d’une nouvelle revue conçue par les comités de rédaction du Feuillet et du Curieux. On remarque l’apparition d’un signifiant dont le destin sera éphémère : les Espaces analytiques d’Intersection, dont la première agora devait se constituer en octobre 1993. Ils seront  l’ébauche de Psychanalyse en Intersection, dont l’histoire débute en juin 1995.
Psychanalyse en Intersection se propose comme un retournement dialectique : partir des pratiques singulières vers des énoncés universels. Elle inaugure le fonctionnement de l’agora et débute une réflexion sur le témoignage indirect. Un travail sera à faire sur l’enseignement des comptes rendus des différentes agoras.
Cette traversée rapide de notre bulletin intérieur montre son importance lorsque l’on veut relire après coup le procès de la théorisation et l’histoire des concepts qui ont constitué la BRFL. Lorsque Le Curieux a cessé de paraître, le seul reflet du travail est devenu le Bulletin des activités et les comptes rendus des assemblées générales, jusqu’à la parution du Bulletin des Agoras.
Pour conclure, demandons-nous ce qui se passe à la BRFL. Rien ou pas grand-chose, s’est-on souvent entendu répondre…
Le parcours exposé témoigne de tout à fait autre chose. La BRFL apparaît comme un lieu où certains signifiants ont pris consistance, même si ce fut parfois sous la forme d’acting out. Elle a soutenu son pari d’assurer la diffusion des œuvres de Freud et de Lacan. Et elle a fonctionné comme un signifiant, et pas seulement…

Octobre 2000

(1) PEI, Agora n° 1, 10 juin 1985