Lettre ouverte aux membres de P.E.I. (Psychanalyse en Intersection)

«?De la nécessité de créer une fédération et une École de psychanalyse à partir de Strasbourg?»

Jean-Richard FREYMANN

  1. La démarche que j’entame aujourd’hui est un authentique effort mais il a été soutenu par plusieurs de mes amis de travail sous une forme très particulière?: celle du message inversé. Je disais?: «?Aujourd’hui en France, on assiste à la mise en système du déni de l’inconscient et un refus organisé de l’existence du champ psychanalytique?» et mes amis m’ont restitué de manière fort surprenante?: «?Tu l’as dit?», «?c’est évident?», «?tu n’arrêtes pas de le signifier?», «?il y a longtemps qu’on le sait?», ou aussi «?c’est seulement maintenant que tu t’en rends compte???»

Si je parle d’authentique effort, c’est que dès que la question institutionnelle se pose, je suis renvoyé aux effets de la dissolution de l’E.F.P. et à la constitution du texte dit de «?déclaration?» de la Convention Psychanalytique. Au moins à dix ans de lutte puis à une succession de décès et de deuils?: J.-P. Bauer, André Rondepierre, Israël, Leclaire, Hassoun… Aussi, au moment où se sont inscrites les marques du deuil et où je me reconnais dans une position de «?passeur?», les choses rebondissent à nouveau.

Ces deuils quelque peu réalisés m’ont offert un désir qui m’a donné des ailes, celui de proposer un enseignement à la cantonade autour de «?Passe un père et manque?» et d’avoir envie de poursuivre l’année prochaine autour de
«?L’a/mère Amour?» et cela m’avait un peu décollé de la paranoïa institutionnelle. Et voici qu’a fait irruption la question de la psychothérapie, du statut du psychothérapeute et que va suivre le statut du psychanalyste.

Du coup, j’ai saisi un peu mieux la phrase de Jacques Lacan, «?Le psychanalyste a horreur de son acte?» comme un conflit préconscient entre la «?demande de l’Autre?» et «?ne pas céder sur son désir?». Ce que j’appelle ici la «?demande de l’Autre?» est la pression étatique de l’inexorable cheminement européen pour codifier l’abord de la Santé mentale, son idéologie, ses buts, ses institutions et ses agents. Ces pressions s’accentuent à certains moments et sont apparentes en certains temps de cristallisation, mais les serpents hypocratiques sont antiques. Parce que la psychanalyse n’a jamais fait et ne fera jamais bon ménage ni avec la médecine ni avec la psychologie ni avec les institutions. Ne rêvons pas et n’opposons donc pas une croyance à une autre.

Mais d’un autre côté, c’est le moment où certains députés qui légifèrent désignent «?la ­psychanalyse comme une grand-mère qui va mourir de sa belle mort?» que certains psychanalystes toujours dans l’infantile pourraient se réveiller?! N’oublions jamais que les constructions en analyse s’écroulent ou se rigidifient dès lors que le Witz, le mot d’esprit, n’est plus présent. Je dois pourtant vous dire que je n’ai pas pris le «?dossier sur la psychothérapie?» avec beaucoup d’humour et cela pour une raison politique?: «?nous, les Strasbourgeois?», avons été maintenus à l’écart du débat et cela a provoqué quelques turbulences dont le présent texte est un des effets. À partir des fantasmes d’exclusion, une fois de plus les effets de Zurücksetzung, voire de haine, ont du bon, pour prendre quelque hauteur.

  1. Ma proposition de base est donc la suivante. La fétichisation publique des signifiants psychothérapie et psychothérapeute doit être analysée comme un symptôme, compromis entre le religieux, le magique et l’acte de guérir. Mais ce symptôme est à entendre comme symptomatique du discours de l’Autre (ici le discours ambiant) et non pas comme discours d’un sujet.

La ptose du symptôme, c’est ce qui nous tombe dessus. Ainsi même s’il n’est pas analysable, il doit être repéré comme une effraction du réel que nous n’avons aucune chance de dominer. Mais ce qui peut être fait c’est introduire un édifice à base symbolique face à ce réel.

Et voici la proposition n° 2

Définir notre mode de fonctionnement institutionnel depuis ces dernières années pour l’affirmer dans la réalité du politique. Mais quels sont les principes de notre fonctionnement??

  1. a) Nous avons repris la maxime de Lacan, sous sa forme complète?: «?L’analyste ne s’autorise que de lui-même et de… quelques autres?» et nous avons exigé, au sein de P.E.I., une affirmation d’un Dire par le biais d’un témoignage direct préparé avec au moins un analyste réfé
  2. b) Le mode plus ou moins explicite utilisé est celui du compagnonnage et non pas obligatoirement comme tour de l’Alsace (comme on dit des compagnons du tour de France). Ainsi la formation à la pratique de l’inconscient se fait en plus de la cure analytique, de l’analyse de contrôle et par des analystes réfé Et j’essaie depuis longtemps de produire un texte sur le compagnonnage dans le champ analytique et je n’y aboutirai certainement pas tout seul.
  3. c) Il s’agit plus à E.I. d’une formation à l’analyse que de la formation de l’analyste. Je m’explique?: jusque-là l’expérience de l’agora concerne plus le passage du transfert sur l’analyste que le psychanalyste comme professionnel. Autrement dit, l’agora n’est pas seulement ouverte aux analystes praticiens et ceci doit être maintenu même s’il faudra bien définir une liste de praticiens de l’analyse d’ici peu pour préciser la dimension professionnelle.

La proposition II est donc la suivante?: constituer avec les membres de P.E.I. (qui se sentent concernés) une École de Psychanalyse de Strasbourg sur la base du compagnonnage et d’une «?formation à la carte?» pour peu qu’un transfert sur l’analyse fonctionne, en précisant les analystes compagnons.

Et comme le dit Lacan, «?nous attendrons tout du fonctionnement?», autrement dit pas de nomination mais deux statuts?:

celui d’accompagné qui est un probataire et celui qui questionne,

celui d’accompagnant qui est le compagnon.

Sur le plan pratique, il suffira de faire des réunions régulières des analystes référents au sein d’une seconde agora d’analystes compagnons.

J’insiste sur le fait que cet accompagnement ne saurait se confondre avec la cure analytique et l’analyse de contrôle. De plus, la durée de cet accompagnement ne saurait être arrêtée de manière codifiée, mais se situerait dans une fourchette de trois à cinq ans. Le compagnonnage prend fin à la suite d’une concertation entre les responsables de l’École, l’analyste référent et l’«?apprenti?».

En ce qui concerne le volet théorique, il fonctionnerait donc «?au choix?», reposant sur les séminaires et groupes de travail de la B.R.F.L., inscrit sur une liste ou sur des activités à l’université (ERC, DU, cours, séminaires), validant et défini en début de chaque année. Cette validation serait assurée par l’agora elle-même.

L’idée consiste donc à faire fonctionner l’École à partir des principes qui sont déjà opérants, mais en y introduisant un authentique compagnonnage, en s’appuyant sur les effets d’enseignements produits par chaque analyste. Mais en y ajoutant un point d’Urteil, de jugement au sens du temps nécessaire à la levée progressive des refoulements.

Il est un point préalable et un autre conséquent à la mise en place de ce système.

  1. a) Préalable?: nécessité de mettre en place une liste d’analystes praticiens dont les critères seraient définis par l’agora,
  2. b) Conséquent?: il est fondamental de maintenir un écart temporel entre la position d’apprenti et la position de compagnon.

Autrement dit, pas de nomination, mais pour devenir compagnon, après l’«?apprentissage?», il y a nécessité d’un temps de latence. En effet, il faut penser un temps de solitude de la pratique, pour passer d’un statut à l’autre.

  1. J’ai été volontairement empirique, en laissant de côté l’affaire de la psychothérapie. Si nous devons définir, en regard de notre champ «?les psychothérapies analytiques?» et en écrire quelque chose dans les textes fondateurs, nous devons laisser aux institutions de l’université et des corporations (psychiatres, psychologues) le soin de préciser leurs capacités de formation à cet égard et les points d’impossibilité. Et ce d’autant plus que nous sommes plusieurs à travailler à l’université.

Mais créer une École de Psychanalyse ­s’appuie sur d’autres enjeux?: ceux des formations à la pratique de la psychanalyse. Entendez le pluriel, qu’il est possible de développer par la suite, parce qu’il existe bien d’autres modèles que ceux de P.E.I.

Cette démarche institutionnelle tranche avec la création de la plupart des institutions post-lacaniennes qui ont soit repris les textes fondateurs de l’E.F.P. (ECF, ELF.) soit constitué un Écrit à base de «?minimum commun?» (texte de la Déclaration de la CP, actuellement dissoute). Ici, nous nous appuyons sur une pratique d’une nouvelle forme institutionnelle qui a fonctionné au moins quinze ans pour en préciser les enseignements et pour proposer un développement de ses instances.

Mais en appuyant la construction de l’École sur le fonctionnement en agora, nous allons au devant d’un nouveau type de problèmes?:

  1. a) Comment associer dans ce fonctionnement des analystes expérimentés qui travaillent dans d’autres formes de travail (séminaires, groupes de travail) et ce depuis de nombreuses années?? Création d’une autre agora?? Ou intégration au un à un??
  2. b) Comment articuler d’autres groupes régionaux à cette nouvelle expérience?? Faut-il prévoir des délégués?? Ou s’agit-il de soutenir un strasbourgo-centrisme??

Nous avons la chance de pouvoir prendre au sérieux la psychanalyse comme un champ spécifique qui est loin d’avoir dit son dernier mot et où la formation à l’analyse est si mosaïque qu’elle peut ouvrir à bien d’autres cultures.

Les positions doctrinales que je vous propose en ce qui concerne les «?psychothérapies?» sont doubles?:

  1. a) Nous n’avons à aborder que les «?psychothérapies dites analytiques?» au sens où la «?dimension thérapeutique?» ne constitue qu’un des volets des objectifs de la cure psychanalytique.
  2. b) «?Qui peut plus, peut moins?». A savoir former à l’inconscient et donc à ses propres processus donne des outils pour aborder la dimension du thé A prendre la mesure du désir d’analyser, on met en contraste la volonté de guérir et non réciproquement. Autrement dit, interroger le poids de la suggestion en analyse n’est pas confondre la suggestion hypnotique et l’opération analytique qui maintient l’écart entre l’Idéal du Moi et le pôle de l’objet perdu.
  3. J’ai intitulé cette lettre ouverte «?De la nécessité de la création dune Fédération et École de Psychanalyse à partir de Strasbourg?» et je viens donc de mettre l’accent sur l’École de Psychanalyse comme transformation de l’expérience de P.E.I. Dans un autre lieu que celui de P.E.I., j’aurais débuté par le signifiant à tout faire «?Strasbourg?» comme espace fédérateur. Je ne vais pas entamer la chansonnette de la tradition psychanalytique strasbourgeoise, ni rappeler que Strasbourg – ville libre – est le signifiant ambivalent de l’Europe. Le mot rassembleur se doit d’être Strasbourg et non quelque nom propre ou un effet de groupe, même si le savoir référentiel est constitué par des individualités qui ont marqué les choses de leur désir et de leurs apports.

Pour compléter les choses autour du signifiant fédérateur, je préciserai autour de l’expression «?Strasbourg comme intersection?» en allusion à la préhistoire de P.E.I., mais aussi ce qui s’articule entre réunion (inter) et séparation (section). (Le fameux poinçon de Jacques Lacan?!)

De repérer le signifiant fédérateur ne me semble pas anodin puisque nombre d’Écoles ou d’institutions ont tenté de poser le terme «?passe?» comme signifiant fédérateur. Je propose à cet endroit une position qui sort aussi de nos débats à P.E.I. Autant les termes «?passe?», «?moments de passe?», «?passages?», sont devenus des opérateurs, voire des concepts avec effets de recherche au sein du champ psychanalytique, autant la procédure institutionnelle a été contestée depuis que Lacan a affirmé?: «?c’est un échec cette passe?», tout en maintenant la procédure?!

À chacun donc de se situer par rapport à la procédure de la passe, il est suffisamment de lieux pour s’y risquer. Mais en l’an 2000, il faut tirer enseignement du fait que la «?passe?» ne fait ni lien social, ni signifiant fédérateur et donc pointer la passe comme le signifiant de l’énigme singulière du passage de l’analysant à la place du psychanalyste.

Nous proposons donc, après discussion au sein même de l’agora, le signe F.E.D.E.P.S.Y.

  1. La dimension du politique

Quelles que soient les qualités de nos activités, de nos enseignements, de nos séminaires, de nos avancées au un à un, nous n’avons aucune exigence institutionnelle (institutio = la chose établie). J’en donne pour preuve le fait de n’avoir même pas été prévenu des réunions sur «?la psychothérapie?» qui ont eu lieu dans les sous-sols de l’Assemblée Nationale et pour les analystes parisiens de convier des ­Strasbourgeois sélectionnés sans tenir compte de nos structures de travail. Alors, soit on en reste là où on crée exclusivement une école qui restera privée et régionale et nous poursuivons dans le cercle magique des phobies rhénanes?; soit nous franchissons les barrières phobiques et nous nous en donnons les moyens.

Renseignements pris auprès de juristes, spécialisés en affaires européennes, il nous faut fonder une Fédération, comme ensemble ­d’associations, qui nous permet d’être reconnu sur le plan européen (même s’il n’y a pas d’institution européenne sur le plan des statuts) et qui nous donne une existence par rapport aux pouvoirs publics.

L’école est ainsi intégrée dans la Fédération (et est une association de la fédération), mais garde sa propre autonomie de fonctionnement à partir de P.E.I.

Mais qui dit Fédération requiert une autre mégalomanie, qui seule peut donner existence à cette fondation. Voici certains ingrédients stratégiques nécessaires?:

  1. a) L’existence d’un texte fédérateur définissant le champ spécifique de la psychanalyse, rigoureux, précis, ouvert et articulé et qui fasse manifeste.
  2. b) À partir de ce manifeste fédérateur, un comité de soutien regroupant autant des personnalités du domaine analytique que d’autres champs, et d’emblée posé sur le plan europé
  3. c) L’adhésion à la fédération peut être personnelle (aussi pour les non-analystes), groupale ou institutionnelle. Ce qui pose de difficiles questions d’
  4. d) Sur le plan du rapport au politique?: nécessité d’un comité représentatif, élu de la fédération, qui a un pouvoir de négociation et qui doit en
    rendre compte à l’ensemble de la fédé Ce comité aura aussi à négocier avec les autres institutions – psychiatriques, psychanalytiques, psychologiques et psycho­thérapeutiques.
  5. e) En ce qui concerne les activités intra muros et extra muros, elles seront annoncées par un bulletin interne qui sera aussi un lieu de diffusion rapide des textes, de documents. Ici nous retrouvons l’ensemble des fonctions de la B.R.F.L., mais élargies et sous la responsabilité de la commission des activité
  6. f) Sur le plan des publications internes et externes, il faudra trouver un mode d’articulation nouveau avec les Éditions Apertura-Arcanes. Cela modifiera le fonctionnement de la maison d’é Par exemple, Apertura pourrait devenir la revue de la fédération et les membres seraient de plus abonnés à toutes les publications d’Apertura-Arcanes.

Dans cette lettre ouverte, qui se veut préliminaire et propositionnelle d’un nouveau temps institutionnel, je n’ai pas spécifiquement mentionné les dangers actuels de la psychothérapisation de la psychanalyse et de la perspective inquiétante de l’annulation de la Laienanalyse. Ces dangers sont d’autant plus présents que nous sommes dans un climat de totalitarisation molle sur fond de pure économie de marché.

C’est parce que je pense que la formation de l’analyste se passe dans la région de manière plus mosaïque qu’ailleurs que je soutiens que nous pouvons tenter à plusieurs une nouvelle aventure institutionnelle sur la base d’une tradition analytique qui a fait ses preuves. Et ce sans trop d’illusions. Mais se pose aujourd’hui plus que jamais la question de la place de la psychanalyse dans notre société et de la psychanalyse comme champ spécifique.

Ma proposition résultante, ou inaugurale, est la suivante?: avec ceux qui en ont le désir, l’envie, le fantasme, le délire ou le rêve, donnons-nous une année pour constituer une «?Fédération et une École de Psychanalyse à partir de Strasbourg?» (F.E.D.E.P.S.Y.).

Voilà, je tenais, pour déclencher les joies et les hostilités, à m’adresser à chacun des membres de P.E.I. Merci à ceux qui m’ont poussé à le faire?!

Samedi 24 juin 2000
Jean-Richard FREYMANN