C’est lors du premier confinement que l’envie d’écrire a pointé le bout de son nez. Sur le site de la FEDEPSY, Éphéméride, un « journal du confinement », avait été ouvert.

Mettre des mots sur ce moment sidérant était tentant. M’essayer à en dire quelque chose ? À ce moment-là, est-ce l’inspiration ou le courage qui m’ont manqué ? L’effet de sidération ?

J’aurais tendance à pencher du côté du courage.

L’envie était là. Je n’ai à ce moment-là pas osé.

Je n’ai pas osé ni à ce moment-là, ni à un autre d’ailleurs.

Il m’aura fallu m’inscrire et participer à l’atelier d’écriture proposé par la FEDEPSY et animé par Marie-Noëlle Wucher pour avoir le courage. Oser envoyer un texte de témoignage concernant celui-ci.

J’interrogerai donc tout d’abord la question du courage et celle du risque. N’est-ce pas le risque qui permet le courage ? Et dans cet entre-deux je tâcherai de vous témoigner quelque chose de mon éprouvé lors de ma participation à cet atelier d’écriture.

Qu’est-ce que le courage ? Que permet-il ou empêche-t-il ? Où se trouve-t-il ?

Jean-Philippe Pleau dit du courage qu’il est insaisissable. Ça existe, ce n’est presque rien mais ce n’est pas rien. Il y a un petit je ne sais quoi que la raison ne peut pas expliquer.

Jankélévitch, dans Le traité des vertus, fait du courage la vertu cardinale par excellence, autrement dit celle qui rend possible les autres vertus.

Pour Jankélévitch le courage détient la clé du sujet. Sans lui il n’y a pas de sujet. Il y a le « on » qui n’est personne, qui n’assume rien.

« Pour que le sujet advienne, qu’il ne soit pas l’enveloppe superficielle d’un corps, il faut en passer par l’acte. Et dès lors, on pourra voir un bout de sujet surgir. »

Le courage qui permet d’entreprendre des choses difficiles en surmontant l’angoisse et en affrontant le danger, la souffrance. On reconnaît dans le courage une disposition à affronter son angoisse, à faire face au danger de manière résolue et volontaire, c’est l’élan qui pousse à s’engager dans l’action malgré l’angoisse.

Est-ce donc l’élan qui me pousse à écrire ce texte, à m’engager dans cette action malgré l’angoisse ? Mais le courage se prolonge aussi dans la persévérance, dans la capacité à maintenir l’audace initiale dans le temps et dans les épreuves, autrement dit, à ne pas se décourager.

Ce risque dont parle Anne Dufourmantelle dans Éloge du risque :

« On ne sait pas expliquer la création, il ne faut pas. Mais comment se crée une langue contre la langue, cela oui, peut-être peut-on l’approcher. Contre l’étrangeté du monde, l’écriture invente un langage pour traduire l’intraduisible ou l’indicible, pour faire entendre l’innommable et tenter d’y inscrire une forme nouvelle. Ainsi naît une langue à soi, pour paraphraser Virginia Woolf, une enceinte où le sujet à l’abri pour un temps à négocier son passage dans la tourmente du réel. Il expérimente le monde à partir d’un certain exil, imprimé en soi très tôt comme une modification intime, pour être libre. »

Je décidais de ce qui consistait en un premier risque voire même un risque premier pour moi, celui de m’inscrire à l’atelier d’écriture de Mme Wucher.

Ne m’étant jamais confrontée à un atelier d’écriture. Écrire une histoire tout simplement. Sans savoir pourquoi, j’avais imaginé jusque-là quelque chose de l’ordre du laborieux, voire même de l’impossible. Et je découvrais le plaisir de m’engouffrer dans ce monde intérieur. De me laisser saisir par lui afin de m’en saisir à mon tour. Sentir les mots tracer leurs sillons en moi.

Et je fus surprise de découvrir l’histoire que j’étais moi-même en train d’écrire. Ces mots qui me venaient de je ne sais où. Il n’y avait pas à les chercher, ils se présentaient, s’agençaient, s’organisaient, se pressaient pour former une histoire qui se dévoilait à mon insu. Tels des petits lutins farceurs ils m’emportaient dans un pays merveilleux, le lieu de l’imaginaire, de l’écriture, de la création.

D’où me venaient-ils ?

D’un ailleurs méconnu de moi-même et qui en même temps me révélait tout en se révélant ? Ouvrant un passage entre le lieu de l’oralité et celui de l’écriture. Se laisser prendre ou déprendre par les mots.

Ces mots, ces phrases différentes et en même temps semblables selon d’où et à l’occasion de quoi ils/elles surgissaient.

Lors de cet atelier les histoires me venaient à l’occasion du, des sujets proposés par son animatrice.

Ces mots qui s’alignaient formant une histoire dans ce temps donné pour l’écriture d’un court récit dont le thème était l’étrange, le merveilleux.

La plume était guidée par le sujet et le sujet permettait l’exploration de tant d’univers.

C’est ce que m’a révélé la lecture à voix haute permise par la bienveillance et l’écoute du groupe. Ce moment de lecture des différentes histoires que nous avions écrites pendant les 20 minutes que nous avions par sujet pour rédiger notre récit.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir dans ce temps consacré à la lecture de nos textes au cours de l’atelier la révélation de tant d’histoires différentes, de tant de champs visités. Nous partions pourtant toutes d’un même sujet et nous allions explorer nos propres mondes et représentations. Nos imaginaires étaient peuplés différemment.

Un même sujet avait fait naître tant de mots, tant de sens qui allaient propulser notre imagination dans tant de lieux différents. Assister à la naissance d’une histoire qui allait en générer d’autres en moi à partir de celle des autres. Ouvrir des contrées, le champ des possibles. L’imaginaire n’avait pas de limites sinon celles de son créateur. Et c’est peut-être ce hors limite qui se découvrait dans cet entre-nous chaleureux de l’accueil réservé à ces mots qui formaient des histoires. Le hors limite qui ouvrait le champ des possibles.

Ne passons-nous pas notre temps à nous raconter des histoires pour contrer la réalité ? Emprunter des chemins de traverses, pour Francis Bacon « l’art est un moyen de revenir à la réalité mais en faisant un grand détour ».

L’enrichissement de nos imaginaires touchés par la variété de la texture des mots, leurs différentes densités, leurs lourdeurs et leurs légèretés à la fois. Dans le retour qui était proposé ou dans un échange de nos ressentis.

Ressentir comment chaque histoire traverse, ce qu’elle modifie.

Les mondes intérieurs se disaient à mi-mots, mots couverts, mots dits. Que ce soient des mondes imaginaires ou réels. La réalité servant d’inspiration à l’imaginaire ; ce même imaginaire nourri par la réalité.

Ce temps consacré à la lecture de nos textes révélait le poids des mots dans la scansion que permettait cette lecture. Ce poids du silence qui habite les mots de celui qui se risque à les lire et que l’on ne peut dissocier de l’écoute et de l’entente.

Est-ce cet entendement qui me pousse à écrire ce témoignage ?

Est-ce que ces mots qui s’alignaient, cette histoire qui se construisait, évoluait, prenait une autre direction sortait de moi ou est-ce les mots qui se jouaient de moi ? Ou tout simplement jouer avec les mots afin de se jouer d’eux.

Il me semblait que les idées se proposaient, s’articulaient, s’agençaient facilement. Tel un jeu de piste que révélait ce passage vers d’autres lieux.

Dans la dernière Lettre de la FEDEPSY, je lis, « si l’envie vous prenait d’écrire… » Je réponds à cette invitation en envoyant ce témoignage de l’atelier d’écriture.

Un proverbe russe dit que le diable n’est pas aussi terrible qu’on le dépeint. Le risque est d’être tétanisé par la peur. Quand on dépasse l’angoisse, c’est l’instant du courage qui arrive. Être courageux c’est dissiper l’inquiétude. La grande joie que l’on éprouve à prendre des risques.

En conclusion, je citerai Kafka : « Ce sont des mots, il n’y a que ça, il faut continuer. »

Deleuze retient que l’acte d’écriture est toujours un effort pour vivre autrement, pour rendre l’existence supportable et porter la vie à ses limites, aux frontières de l’invivable.

Dans Kafka, Deleuze et Guattari répètent ainsi constamment qu’il s’agit « par l’acte d’écriture de trouver une issue ».

L’écriture réflexive qui permet de travailler le texte et de travailler la réflexion ? L’écriture ne fait-elle pas advenir la pensée ? Elle actualise un virtuel, elle est création. Elle est une fabrique de sens. Nous avons tous probablement fait cette expérience de partir avec une idée vague, que nous croyons ferme et qui se dérobe au moment de la fixer. Un effort d’écriture est alors nécessaire pour la former. Et durant ce travail voici qu’elle se transforme, rencontre d’autres pensées, se croise avec d’autres textes, s’écarte de l’intuition de départ, se fortifie et nous emmène vers ce que nous trouvons finalement plus satisfaisant. Mais ceci n’est pas l’aboutissement. Cette idée sera repensée plus tard, reterritorialisée dans un texte plus complet.

Emmanuelle Chatelat

Psychanalyste

2-11-2022

Bibliographie :

Jacques Lacan, Le séminaire livre X, L’angoisse

Jean-Philippe Pleau, sociologue, émission « c’est fou »

Vladimir Jankélévitch, Le traité des vertus

Anne Dufourmantelle, Éloge du risque

Virginia Woolf, Une chambre à soi

« Francis Bacon entretiens » avec Michel Archimbaud

Félix Guattari ; Gilles Deleuze, Kafka pour une littérature mineure